Compte-rendu : Xavier Lafon,
Ricardo González-Villaescusa, Les cités romaines, Paris, Que sais-je ? 4173, 2021, 128p ;
Société Française d'Histoire Urbaine - Revue Histoire Urbaine.
Il faut un courage certain pour vouloir affronter dans les limites d’un « Que sais-je ? » un sujet aussi vaste que celui des cités romaines ! Cette collection comportait déjà sous le numéro 657 un ouvrage devenu un classique, celui de Pierre Grimal, Les villes romaines, dont la première édition remonte à 1954, la 3e (mais pas la dernière) à 1966. Autant dire qu’il est désormais possible grâce à ce nouvel opuscule de mesurer le long chemin parcouru par la recherche depuis la période de l’Après-Guerre.
Bien évidemment, malgré le titre très large retenu, un certain nombre de choix ont dû être réalisés, parfaitement explicités dans l’introduction. Le premier et peut-être le plus important a été de limiter l’emprise territoriale de l’étude à la partie occidentale de l’Empire romain, en gros celle qui n’avait pas, sauf exceptions, « bénéficié » de l’apport fourni antérieurement à la conquête par le monde des cités-états helléniques : la conquête romaine se traduit donc dans la zone étudiée par la création de cités même si l’on relève depuis approximativement une trentaine d’années des recherches qui, en particulier en Gaule, ont établi l’existence d’une organisation antérieure des différents « peuples », organisation annonciatrice en quelque sorte de la création des « cités ». Quelques exceptions cependant tendent à réduire cette coupure géographique comme l’étude des mouvements de population (l’exode rural relativement faible) traités à partir de la documentation papyrologique égyptienne.
Bien évidemment, la bibliographie a dû être drastiquement limitée, réduite à seulement 37 références et le propos prend, comme cela est également précisé, plus la forme de notes de séminaires que celle d’une analyse approfondie, tous les cas, toutes les différences, ne pouvant être traités de façon équivalente. Le lecteur un peu informé souhaiterait donc régulièrement pouvoir infirmer la pensée de l’auteur par la prise en compte de contre-exemples. C’est là une limite inhérente à toute tentative de synthèse sur un sujet où la documentation est abondante mais souvent contradictoire. De fait, le lecteur à travers les exemples retenus n’a pas trop de peine pour suivre le parcours géographique des différentes affections universitaires, l’Andalousie et les Baléares, Reims, Nice, suivi par l’auteur, où il s’est largement investi dans la recherche locale !
Un certain nombre des domaines traités ne présente en conséquence pas de grandes originalités, en particulier les chapitres consacrés à l’urbanisme et à la monumentalisation des chefs-lieux de cité, redevables des travaux antérieurs de spécialistes comme Pierre Gros. Ceci est à mettre en relation avec l’ambiguïté depuis longtemps relevée qui règne entre les concepts de ville et de cité dans le monde antique, voire entre citadin et citoyen. La cité entendue comme territoire ne peut exister sans une « capitale » où sont concentrés tous les éléments de la gouvernance et l’essentiel des lieux du culte « civique ». Inversement le chef-lieu ne peut se comprendre sans le territoire qui l’entoure, territoire dominé économiquement et culturellement par lui mais indispensable pour assurer son autonomie économique et donc pour finir politique. Il en résulte la nécessité d’étudier les deux éléments en étroite symbiose et dans les faits, le passage de l’un à l’autre dans l’étude est permanent.
L’originalité de la démarche apparaît plus nettement dans l’orientation clairement géographique invoquée par l’auteur. Dans la lignée des études menées en son temps par l’équipe de Besançon sous la responsabilité de Monique Clavel (autrice d’une thèse remarquée publiée en 1970 sur Béziers et son territoire dans l’Antiquité), puis celle de Lattes avec Jean-Luc Fiches, c’est bien la prise en compte de cette dimension qui est ici essentielle. Traditionnellement c’était l’étude administrative et politique (le statut des différentes cités) qui dominait les recherches sur les cités, permettant de distinguer les différents types de colonies, de municipes, de cités libres ou fédérées etc., avec une insistance sur l’autonomie politique réelle ou supposée de chaque cité par rapport à Rome. Les conséquences sur la panoplie monumentale du chef-lieu constituaient le prolongement obligatoire de la prise en compte de ce statut avec la nécessité de comparer les réalisations provinciales de différents niveaux liés au statut, avec les « modèles » romains. Il est donc parfaitement logique que le premier chapitre soit ici consacré à la mise en place de ce réseau territorial à la suite de la conquête et après un second, consacré à une analyse forcément rapide des différentes provinces prises en compte, que le troisième revienne sur les critères d’implantation et de dénomination. Le fil directeur est bien l’affirmation d’une emprise généralisée de l’empire romain malgré l’autonomie relative de chaque cité pendant les deux siècles du haut Empire, avec un double caractère de « Discontinuité urbaine et [de] continuité civique » comme le rappelle, entre autres, un des sous-titres d’un chapitre. L’auteur insiste à juste titre sur l’importance du réseau routier comme élément unificateur de ce « réseau » de cités, en parallèle avec l’autonomie économique : le territoire de la cité et le chef-lieu abritent tous deux les éléments productifs, agricoles et artisanaux, essentiels mais les échanges à longue distance sont également indispensables pour répondre aux besoins des populations et de leurs élites. Les deux derniers chapitres mettent l’accent principalement sur les aspects strictement urbains, la monumentalisation dont il a déjà été question et la démographie avec la prise en compte notamment des pathologies urbaines.
Dans les discussions qui notamment en France opposent partisans d’une main mise complète de l’empire romain sur le monde provincial et ceux qui mettent en avant le maintien de pratiques et d’habitudes héritées du monde gaulois, l’auteur prend clairement partie pour les premiers. Dans ces conditions, la fin de l’empire romain occidental, marqué par la fondation de Constantinople en 330, ne peut que coïncider avec la fin de la « cité » signifiant également la fin d’une certaine forme de ville et dans de nombreux cas, la disparition de la ville elle-même dans ce qu’elle a en particulier de monumental. Ce petit ouvrage répond donc parfaitement aux attentes en proposant une vision synthétique et engagée de l’histoire de la cité dans la partie occidentale de l’empire.